LA MÉDECINE NUCLÉAIRE
Dr Evelyne Mathieu
Chef du Service de Médecine Nucléaire au Centre Hospitalier de Versailles


INTRODUCTION

1. LES TRACEURS
2. LES MACHINES
3. LES APPLICATIONS
4. CONCLUSION
 



  INTRODUCTION  

Le terme de médecine nucléaire recouvre les utilisations biologiques et médicales des radioéléments artificiels en sources non scellées. Ceci donne lieu à des applications en imagerie, mais aussi en thérapie. On parle alors de radiothérapie métabolique, pratique différente de la radiothérapie externe, et bien souvent complémentaire.

En imagerie, la médecine nucléaire est également complémentaire des autres techniques qui utilisent des radioéléments ionisants (radiologie, scanographie...) ou non (échographie, imagerie par résonance magnétique nucléaire..).

Ses applications, très diverses, se sont développées depuis Ies années 1950. Elles reposent sur la possibilité de détecter avec une très grande sensibilité les rayonnements émis par les atomes radioactifs d'isotopes choisis pour leurs propriétés métaboliques et/ou physiopathologiques.

En effet, le radioélément est introduit par voie veineuse (le plus souvent) dans l'organisme d'un patient. Le produit seul ou associé à un vecteur à tropisme prédéterminé pour un organe ou une pathologie (il est appelé radio-pharmaceutique) est suivi par détection externe et donne la possibilité d'enregistrer sa distribution, sa concentration et son élimination, - sans autre nécessité que son administration, indolore et non invasive - par un système de détection approprié, la gamma-caméra.

Nous allons voir successivement les radioéléments choisis et les systèmes d'enregistrement depuis leur invention jusqu'aux appareils très sophistiqués d'aujourd'hui. Nous donnerons alors les principales applications de cette technique encore en pleine évolution.



1. LES TRACEURS  
L'intérêt de l'isotope radioactif d'un élément déterminé est de présenter les mêmes propriétés chimiques que celui-ci, mais d'émettre des rayonnements du fait du caractère instable de son noyau. Prenons l'exemple de l'iode, élément fondamental dans le métabolisme.

L'iode naturel (127I) est consommé par l'organisme pour synthétiser les hormones thyroïdiennes, garant de notre équilibre métabolique. Il est facile d'imaginer les avantages que l'on a d'utiliser un des isotopes radioactifs de cet élément pour explorer le corps humain.

Il existe plusieurs isotopes de l'iode utilisables en médecine nucléaire. Ce sont les isotopes 123, 125 et 131. Tous sont émetteurs de rayonnement gamma, mais ils ne sont pas utilisés de la même façon. L'iode 125 émet un rayonnement de basse énergie (30 KeV) et a une période physique longue (deux mois) ; il ne sera utilisé que pour la biologie. L'iode 123 émet un rayonnement gamma de 159 KeV, entres autres, très favorable à la détection, et a une période physique courte, de 13 heures. Il sera donc privilégié pour l'imagerie, malgré son coût élevé, lié à sa production par cyclotron. L'iode 131 est émetteur gamma, mais aussi bêta. La période physique de 8 jours et l'émission bêta le rendent très favorable à une utilisation thérapeutique. Son rayonnement gamma très énergétique à 365 KeV, fait que l'on peut le choisir pour certaines applications d'imagerie, associé à un vecteur métabolisé lentement par certains organes (la surrénale, par exemple).

Cet élément montre bien quels sont les avantages et les contraintes qui décident du choix des radioéléments et de leurs vecteurs. Il y a d'abord leur tolérance dans le corps humain : ils sont non toxiques, le reflet d'un métabolisme, ou au moins, passifs et éliminés sans autre interaction physiologique.

Ils doivent, de plus, être émetteurs gamma, purs si possible, et avoir une demi-vie courte, de l'ordre de quelques heures à quelques jours.

Les principaux radioéléments utilisés en pratique sont le 99mTc (technétium 99 métastable), le 201Tl (thallium 201), le 67Ga (gallium 67), le 111In (indium 111), l’iode etc., et plus récemment, en routine clinique, le Fluor 18. C'est cependant le 99mTc , élément artificiel, fils du 99Mo (molybdène 99), qui présente les meilleures caractéristiques pour l'utilisation en médecine : période physique courte (6 h), émission gamma unique (140 KeV) et propriétés chimiques idéales pour de nombreux marquages.

Actuellement c'est le 18F (fluor 18) qui représente l'élément phare de la spécialité (période physique de 2 h), Il fait partie d'un ensemble de radioéléments intéressants car issus de cyclotron, avec une période physique très courte à courte (quelques secondes à très peu d'heures). Ce sont : 15O (oxygène 15), 11C (carbone 11), 13N (azote 13), 18F (fluor 18), pour les petits éléments et quelques isotopes émetteurs bêta+ d'éléments encore légers. Issus de réactions nucléaires dans un cyclotron médical, ils sont utilisés après substitution à leur isotope stable de molécules physiologiques telles que CO2, H20. NH3, mais aussi d'autres métabolites importants dans l'organisme comme les hormones, les médiateurs cellulaires et leurs précurseurs, et bien d'autres supports du métabolisme.

Si presque tous sont encore utilisés en recherches fondamentale et appliquée, comme c'est le cas dans le Service Hospitalier Frédéric Joliot à Orsay (département des applications médicales du CEA), on commence à utiliser dans les services de médecine nucléaire le 18F associé au glucose, dans le FDG. Véritable témoin quantitatif de la consommation en sucre des cellules vivantes, il a une utilisation quotidienne (ou presque) dans une seule application autorisée, la cancérologie, avec des détecteurs appropriés et connus sous le nom en franglais de PETSCAN. Il est bien sûr utile dans beaucoup d'autres applications. Il est émetteur bêta+, (ou émetteur de positon) et donc représente un tout autre domaine de la médecine nucléaire "classique" comme elle a été présentée précédemment.

L'augmentation des autorisations et des implantations de ces matériels actuellement rend compte du dynamisme et de l'ouverture de la spécialité vers toutes les applications des explorations fonctionnelles de l'homme.



2. LES MACHINES  

Les détecteurs utilisés actuellement fonctionnent toujours sur le principe de la caméra décrite par ANGER en 1952. Les gamma-caméras ont été progressivement améliorées pour conduire aux applications cliniques. Elles sont actuellement numérisées, dotées de système d'acquisition tomographique, et leurs logiciels sont particulièrement performants. Les caméras à positons (PETSCAN), apportent sur le marché des conceptions et des performances nouvelles que nous verrons plus loin.

Le milieu détecteur est un monocristal d'iodure de sodium activé au thallium, de grande taille. Il lui est adjoint un collimateur, adapté à l'énergie du rayonnement gamma et au type d'imagerie à réaliser, qui a pour effet d'éliminer Ies photons issus de la diffusion Compton. Du fait d'une grande variété d'acquisitions, il existe un grand nombre de collimateurs, tel un appareil photographique et ses différents objectifs. Les photons reçus par le cristal constituent une image qui est une projection plane de la radioactivité située en regard (dans le patient). Chaque photon voit son énergie absorbée, transformée en photons d'énergie lumineuse, eux-mêmes convertis en un faisceau d'électrons (énergie électrique qui constitue le signal) par les photomultiplicateurs (PM) placés contre le cristal. Le système est conçu pour restituer dans ses coordonnées et en intensité le nombre de photons issus de l'organe ainsi imagé. La scintigraphie est donc le document réalisé, avec ou sans numérisation. L'ensemble des données est cependant transféré maintenant à un ordinateur qui traite les données de façon quasi instantanée.

La caméra à scintillations a bénéficié des performances techniques des scanners radiologiques, et ceux-ci ont gagné dans le traitement des images grâce aux conceptions des logiciels de la médecine nucléaire. Les systèmes de détection actuels sont complétés par des innovations technologiques : numérisation PM par PM, correction d'atténuation, angulation variable, multi-détecteurs, amélioration de la résolution, etc. La caméra de type ANGER a cependant été conçue dès le début pour la détection du 99mTc, qui est apparu comme elle au début des années 1960. Elle arrive maintenant aux limites de l'utilisation de ses performances.

Une nouvelle génération de gamma-caméra est actuellement proposée, basée sur l'utilisation des semi-conducteurs. C'est en fait une nouvelle structure de détection qui a peu de chose en commun avec la caméra de ANGER. Elle est conçue sur le principe d'une structure de caméra à pixels, c'est-à-dire une matrice de détecteurs indépendants, chaque détecteur représentant un point de l'image. De cette façon chaque détecteur est relié à une voie électronique qui traite le signal issu de l'interaction d'un photon gamma et peut en mesurer l'énergie. La matrice du détecteur peut être réalisée par l'association de petits cubes élémentaires de CdTe. D'autres sortes de détecteurs sont aussi à l'essai ou en développement chez différents constructeurs proposant des cristaux de CdZnTe, de LSO, de BGO, etc. ce qui laisse ouverte la succession de la gamma-caméra classique.

Les caméras à positons présentent la caractéristique de détecter les photons d'énergie 511 KeV, issus de l'annihilation du positon avec un électron. Il n'est pas nécessaire d'avoir un collimateur du fait d'une énergie unique, mais la valeur élevée de cette énergie demande une conception différente de la détection. Ce sont donc les semi-conducteurs qui sont utilisés, des détecteurs élémentaires associés sur une couronne, et une détection en stricte coïncidence. Il existe deux grandes familles de caméra à positons : celles qui sont dédiées PET, et celles qui associent une autre technique d'imagerie, scanner X ou IRM, permettant la fusion des images. Ceci permet d'associer l'imagerie anatomique radiologique avec l'imagerie fonctionnelle de la médecine nucléaire sur un même document. Ce sont ces PETSCAN qui préfigurent les machines d'imagerie médicale de demain, et même d'aujourd'hui puisqu'elles représentent la quasi-totalité des ventes actuelles dans ce domaine.



3. LES APPLICATIONS  

Les examens de médecine nucléaire sont demandés quand une pathologie fonctionnelle est suspectée. Ils sont toujours complémentaires d'une autre approche de l'organisme : clinique, radiologique ou biologique. Différents traceurs associés aux vecteurs appropriés permettent l'analyse qualitative et souvent quantitative de l'étude. Les applications touchent presque toutes les pathologies mais les grands domaines sont la cardiologie, la pathologie ostéo-articulaire, la pneumologie, la cancérologie, etc.

Si les caméras arrivent au maximum de leurs performances, ce sont les nouveaux traceurs qui permettent de progresser encore dans cette imagerie fonctionnelle.

Le PETSCAN est disponible dans quelques dizaines de centres de médecine nucléaire, sur l'ensemble du territoire. C'est à l'évidence la technique la plus prometteuse, en association avec le scanner X. Le seul domaine autorisé, pour le moment, est celui de la cancérologie, avec le seul traceur disponible : le FDG (fluoro-déoxy-glucose marqué au 18F), traceur du métabolisme cellulaire et de ses perturbations. Il existe beaucoup d'autres applications potentielles, en neurologie, en cardiologie et surtout beaucoup de molécules à venir. De même, d'autres émetteurs bêta+ sont actuellement à l'étude, et disponibles si leur période physique, en général très courte, permet leur distribution en milieu médical.



4. CONCLUSION  

La médecine nucléaire est donc une technique d'imagerie importante parmi les examens complémentaires demandés par les cliniciens, afin de contribuer au diagnostic de façon non invasive, de suivre l'évolution après traitement, et surtout d'apprécier très vite l'efficacité de ceux-ci, bien avant l'apparition des modifications anatomiques. Les limitations inhérentes au principe de la machine sont en partie levées par l'association informatique de la scintigraphie aux résultats radiologiques, obtenus dans le même temps d'acquisition, grâce aux machines mixtes actuellement développées.

Il est vrai que toutes utilisent des rayonnements ionisants mais les doses d'irradiation délivrées sont faibles, bien connues et acceptables pour le patient. L'avantage réside surtout dans la capacité de ces techniques à limiter le nombre des autres examens, coûteux également, d'aider au choix thérapeutique, et d'en apprécier l'efficacité très rapidement, de modifier l'arbre décisionnel du traitement, dans une pratique qui ne nécessite pas d'hospitalisation. Ceci contribue aussi à la limitation des coûts de la santé, même si les produits, les machines et les examens sont encore onéreux.

Association des Retraités du groupe CEA, indépendante de l'Etablissement Public de Recherche