QUEL CLIMAT FERONS-NOUS ?
H. Nifenecker

Le Tableau 1 montre l’importance de nos émissions de gaz à effet de serre. On voit que les émissions de gaz carbonique constituent la principale contribution.

Tableau 1
CO2 dû à la combustion des fossiles
7 GtC
CO2 dû au changement d’affectation des sols
1 GtC
CH4
2 GtC
N2O
0,5GtC
Halo carbures
1 GtC

Emissions anthropiques annuelles des principaux gaz à effet de serre exprimées en Giga-tonnes équivalent carbone (année 2000)
Nous avons vu que, dans les circonstances actuelles, la biosphère et l’océan sont capables d’absorber 3 Gt de Carbonne. La concentration actuelle de gaz carbonique dans l’atmosphère est de 360 parties par millions(ppm) alors que sa concentration pré-industrielle était de 280 ppm. la quantité totale de gaz carbonique dans l’atmosphère atteint 750 GtC actuellement pour 580 GtC à l’ère pré-industrielle. Cette augmentation de la concentration s’est traduite par une augmentation de la température de 0,6 à 1 degrés. Il nous est possible avec ces données d’estimer l’augmentation de température à laquelle nous pouvons nous attendre si nous limitons nos émissions à la valeur actuelle (ce qui est d’ailleurs tout à fait optimiste, nous le verrons). Au cours du 21ème siècle, à raison d’une augmentation de 5GtC/an le stock de gaz carbonique atteindrait 1250 GtC et une concentration de 600 ppm conduisant à une augmentation de température comprise entre 1,8 et 3 degrés par rapport à la température actuelle.
Le raisonnement qui précède est, évidemment, trop schématique. Pour une approche plus réaliste on peut considérer que les émissions de gaz carbonique sont le résultat du produit de plusieurs facteurs :




N est la population mondiale,  le produit intérieur moyen par habitant, la quantité d’énergie consommée par unité de produit intérieur, appelée aussi intensité énergétique, la quantité de CO2 émis par unité d’énergie consommée. Les scénarios qui sont construits pour prévoir l’évolution du climat (par exemple ceux utilisés par le Groupement Intergouvernemental d’Etude du Climat (GIEC) doivent donc faire des hypothèses sur l’évolution de chacun de ces facteurs.
Les projections des démographes indiquent que la population mondiale devraient passer par un maximum compris entre 8 et 10 milliards d’hommes aux environs de 2050 pour décroître lentement après cette date.

En 2000 la valeur du produit intérieur moyen mondial par habitant valait environ 6000 dollars. Elle avait augmenté à un rythme d’environ 3% par an entre 1980 et 2000. Les taux d’augmentation annuels entre 2000 et 2050 retenus par les scénarios prospectifs sont compris entre 1 et 1,7%. On peut d’ailleurs se demander si, compte tenu de la rapidité actuelle du développement de la Chine et de l’Inde ces valeurs ne sont pas sous-estimées.
L’expérience montre que les intensités énergétiques diminuent lorsque le produit intérieur par habitant augmente. Le rythme annuel de cette diminution estimé entre 2000 et 2050 est de l’ordre de 1%. Il pourrait être supérieur si des politiques fortes d’économie d’énergie étaient mises en oeuvre.
Finalement les scénarios prévoient une augmentation de la consommation énergétique mondiale de 10 milliards de tonnes équivalent pétrole (Gtep) en 2000 aux environs de 20 Gtep en 2050, des politiques d’économie d’énergie permettant éventuellement de ramener cette valeur aux environs de 15 Gtep. En tout état de cause il semble irréaliste, sauf catastrophe économique d’espérer une stabilisation et, a fortiori, une décroissance de la consommation énergétique mondiale d’ici 2050.

En 2000 la quantité de CO2 émise était de 0,65 tonnes de Carbonne équivalent par tep consommée (tC/tep) en moyenne pour le monde. Si on conservait la même « intensité Carbone » en 2050, les rejets de gaz carbonique correspondant à une consommation de 20 Gtep atteindraient donc 13 GtC. En admettant que la capacité d’absorption de l’océan reste de 3 GtC, que la contribution du changement d’affectation des sols s’annule et que les émissions se stabilisent à leur niveau de 2050, on trouve que 850 milliards de tonnes de Carbone supplémentaires seront stockés dans l’atmosphère en 2100. Le stock total de Carbone atteindrait donc 1600 GtC et la concentration 770 ppm. L’augmentation de température serait alors comprise entre 3 et 5 degrés. L’utilisation des modèles beaucoup plus raffinés utilisés par le GIEC conduisent à une fourchette d’augmentation de température comprise entre 1,8 et 6 degrés. Ces valeurs sont en bon agrément avec celles que nous avons calculées par les très simples considérations ci-dessus.
Les modèles climatiques actuels ne prennent pas encore en compte de façon satisfaisante certaines évolutions non linéaires qui pourraient accélérer notoirement le réchauffement :

     • Il est possible que la biomasse ou(et) l’océan se mettent à rejeter du gaz carbonique à leur tour.

     • Les énormes quantités de méthane stockés dans le sol gelé de la Sibérie et du Canada pourraient être relâchés plus ou moins vite

     • En sens inverse, du fait de précipitations accrues aux hautes latitudes tendant à diminuer la salinité et, donc, la densité des eaux de surface on pourrait observer un ralentissement ou un arrêt de la circulation thermohyaline, conduisant à un refroidissement sévère de l’Europe, surtout en hiver.


Le seul espoir de stabiliser ou réduire les émissions de gaz carbonique réside dans la dé carbonisation des méthodes de production d’énergie. Or, en 1995, un pays comme la Suède n’émettait que 0,35 tC/tep. Parmi les autres pays, la France émettait 0,43 tC/tep, l’Allemagne et les USA environ 0,74 tC/tep et le Danemark 0,87. Si les émissions moyennes mondiales étaient ramenées au niveau de celles de la Suède, les rejets annuels en 2050 seraient ramenés à 7 GtC, autrement dit ils seraient stabilisés à leur niveau actuel. Dans la même hypothèse, en 2000 les rejets de CO2 dus à l’utilisation des combustibles fossiles auraient été de 3,5 GtC au lieu de 6 ; l’augmentation de la concentration de CO2 dans l’atmosphère serait faible.

La raison de la bonne performance de pays comme la Suède et la France est que ces pays n’utilisent pratiquement pas de combustibles fossiles pour produire leur électricité : elles recourent essentiellement à l’énergie nucléaire et à l’hydroélectricité.

Malgré tout, la décarbonisation de la production d’électricité ne sera pas suffisante pour stabiliser la concentration de gaz carbonique dans l’atmosphère. La production d’électricité ne représente qu’un tiers de la consommation mondiale d’énergie primaire. Les transports en utilisent environ un quart et ne se prêtent pas facilement à un remplacement des combustibles fossiles. Par contre la fraction restante, soit plus de 40%, correspond essentiellement à de la production de chaleur à basse et haute température pour l’industrie ou le résidentiel. De nombreuses possibilités existent pour limiter et même supprimer le recours aux combustibles fossiles dans ce domaine : utilisation, grâce à la cogénération, des calories rejetées par les centrales thermiques (nucléaires par exemple), utilisation de la chaleur solaire, de la géothermie, de la combustion de la biomasse ; les pompes à chaleur permettent d’utiliser l’électricité pour faire de la chaleur avec une bonne efficacité. Si une telle politique était menée l’intensité Carbone pourrait être divisée par un facteur de l’ordre de 2 pour atteindre environ 0,17 tC/tep, soit des émissions totales de 3,5 GtC en 2050. La stabilisation de la concentration en gaz carbonique et, donc, de la température serait alors pratiquement obtenue.

En conclusion, et en schématisant, on peut dire que deux voies sont ouvertes pour stabiliser la température moyenne du globe :

     • ou bien diviser par deux la consommation énergétique mondiale, soit, pour les pays développés la diviser par au moins quatre

     • ou bien renoncer à l’utilisation des combustibles fossiles pour la production de chaleur et d’électricité, et, dans l’état actuel des technologies, cela n’est possible que par un développement massif de l’usage de l’énergie nucléaire.

Association des Retraités du groupe CEA, indépendante de l'Etablissement Public de Recherche             haut de page —>>haut de page