FUSION THERMONUCLEAIRE
CONTROLEE (J. Peulvé)
- INTRODUCTION
Le remplacement de l'énergie fossile, largement exploitée
au cours des deux derniers siècles, risque de se poser à
moyen terme. Le charbon et le gaz (Lacq) ont disparu de notre territoire,
le choc pétrolier de 1973 a conduit la France, afin de ne pas
être totalement dépendante des importations, à se
reporter sur d'autres sources : l'hydraulique et toutes les énergies
renouvelables (biomasse, géothermie, éolien, marée
motrice, solaire thermique, photovoltaïque, etc,, mais ces dernières
restent en voie de développement) et l'énergie nucléaire.
- UTILISATION DE L'ENERGIE NUCLEAIRE
Vers la fin du dix-neuvième siècle et surtout au cours
de la première moitié du vingtième, les avancées
remarquables de la physique nucléaire ont ouvert des horizons
nouveaux avec la découverte de deux réactions fondamentales,
depuis l'origine de l'Univers :
• la ”fission” des éléments chimiques
les plus lourds (voir la classification de Mendeleïev), par exemple
de l’uranium 235, dont la cassure du noyau engendre des éléments
plus légers en dégageant de l’énergie, c'est
la réaction utilisée dans tous les réacteurs électronucléaires
actuellement en fonctionnement,
• la ”fusion” des éléments les plus
légers, à l’autre extrémité de la
même classification, deux noyaux d'isotopes de l’hydrogène
: le deutérium et le tritium, qui en "fusionnant" engendrent
un élément plus lourd, l’hélium, en dégageant
également une grande quantité d'énergie.
Dans les deux réactions nucléaires citées, la matière
devient source d’énergie, comme le prévoit l’équation
d’Einstein E = mC2 (E l'énergie d'un corps est équivalente
à sa masse multipliée par le carré de C la vitesse
de la lumière dans le vide soit 300 000 kilomètres par
seconde). Ces deux réactions ont apporté une avancée
énergétique très prometteuse et de longue durée.
Finalement, sous le contrôle de l'homme, la fusion pourrait reproduire
les énergies que le soleil nous prodigue par ses réactions
thermonucléaires et qui ont permis l’apparition de la vie
sur terre.
- LA FUSION
Dès 1919, Jean Perrin avait émis l'idée que la
synthèse de l'hélium 4H à partir de l'hydrogène
1H permettrait de capter une fabuleuse énergie. C'est à
partir de 1951 que se développèrent les recherches systématiques
sur le contrôle des réactions thermonucléaires,
d'abord aux USA puis en URSS, en Grande-Bretagne et en France aux centres
CEA de Fontenay aux Roses, Saclay et Grenoble, regroupés en 1984
à Cadarache.
Deux voies de recherches se sont poursuivies pour la production du plasma
et la récupération de l'énergie libérée
:
• dans un champs magnétique, à l'intérieur
d'une enceinte torique dénommée TOKAMAK (contraction des
mots russes signifiants Tore et Magnétique, le 1er A se prononce
à la russe comme un O),
• par le bombardement d'une cible de combustible à l'aide
de faisceaux laser, principe de la fusion dite inertielle. Cette voie,
ébauchée au Centre CEA de Valduc, fera l'objet d'un autre
article lorsque des résultats auront été obtenus
par le laser méga-joules en cours de réalisation au Centre
d’Etude Scientifique et Technique d’Aquitaine (CESTA) du
CEA.
Ces deux axes de recherche laissent naturellement apparaître les
nombreux problèmes à résoudre :
- choix de l’enceinte principale, conforme à une configuration
close (résistante au vide poussé et à la température
élevée),
- réalisation du milieu réactif avec son alimentation
en deutérium et en tritium nécessaires à la réaction,
- obtention des températures de réaction thermonucléaire
(200 à 300 millions de degrés Celsius),
- trajectoire des particules (avec une vitesse de l'ordre de 1 000 km/s
- kilomètres par seconde)
- maintien stable du milieu ionisé (plasma) loin des parois,
- élimination des impuretés.
- LE PLASMA
Un plasma est un fluide constitué de particules chargées,
c'est le quatrième état de la matière : solide,
liquide, gaz et plasma. Dans la nature, le plasma se rencontre dans
le soleil, les étoiles, les queues de comète ainsi que
sur terre dans l'ionosphère, les aurores boréales, la
foudre. Atteignant des températures de plusieurs dizaines de
millions de degrés, ces plasmas sont constitués de gaz
légers, essentiellement d'hydrogène, complètement
ionisés (dont les neutrons, les protons et les électrons
sont séparés dans une agitation extrême). C'est
ce type de plasma qui est réalisé pour obtenir la fusion.
A un plus bas niveau d'énergie le plasma permet différentes
applications techniques, par exemple : les écrans vidéo,
les fours à plasma et les chalumeaux dont la température
se situe entre 2 000 et 15 000 °C et permettent de fondre toutes
sortes de matériaux.
- LA REACTION DE FUSION
Il faut tout d'abord modifier les atomes en séparant les électrons
des noyaux pour créer un plasma. Puis, au sein de ce plasma,
la réaction de fusion consiste à réunir un noyau
de deutérium D (comprenant un neutron et un proton) et de tritium
T (comportant deux neutrons et un proton) qui conduit à la production
d'un noyau d'hélium 4 4He (comportant deux neutrons et deux protons)
chargé d'une énergie de 3,5 MeV (megaélecton-volt)
et libérant un neutron avec une énergie de 14 MeV. La
difficulté de la réaction repose sur le fait qu'il faut
vaincre la répulsion électrostatique qui s'exerce entre
les noyaux de charge positive et ne permet leur fusion que par collision
avec une vitesse suffisante : environ 1 000 km/s (kilomètre par
seconde) ce qui nécessite un très long parcours dans le
plasma.
L'objectif visé dans les réacteurs est l'auto-combustion
ou "ignition" du mélange D + T qui s'obtient lorsque
l'énergie des particules alpha cédées au mélange
permet de maintenir sa température d'environ 2.108 °C –
(200 millions de degrés Celsius) sans apport d'énergie
extérieure. Ces conditions sont réunies dans le réacteur
dit TOKAMAK.
Le deutérium, isotope 2H de l'hydrogène, est relativement
abondant dans l'eau de mer : 0,0153%. Il est extrait par électrolyse.
Il ne s'épuisera donc qu'avec la disparition de l'eau. Le tritium
est l'isotope 3H de l'hydrogène. Il est radioactif mais avec
une période courte de 12,56 ans. Il est obtenu à partir
de réaction de fission sur le lithium.
- LE TOKAMAK
C'est le réacteur
qui offre actuellement les meilleurs résultats. La méthode
consiste à confiner la matière sous forme de plasma à
très haute température (de l'ordre de 200 millions de
degrés Celsius) par un solénoïde torique où
est produit un champ magnétique intense, l'anneau de plasma qu'il
contient étant lui-même parcouru par un courant toroïdal
créant un champ magnétique perpendiculaire à celui
du solénoïde. Les lignes de champs résultantes sont
ainsi des hélices s'enroulant sur des surfaces toriques.
|
-
Le transformateur avec son châssis et
ses six branches.
- Le circuit d’induction pour l’amorçage et l’ionisation du
gaz neutre.
- L’anneau toroïdal de gaz ionisé.
- Les bobines créant le champ toroïdal.
- Les bobines créant un champ poloïdal.
- Hublot d’observation ou pour l’introduction d’instruments
de mesure ou de couplage d’ondes de chauffage aux fréquences
cyclotrons électroniques, ioniques et hybrides.
Source CEA |
- L'EVOLUTION DES REACTEURS
L'évolution de la recherche sur les équipements de fusion
par confinement magnétique peut se résumer en trois grandes
étapes débutant dès le début des années
50.
Les problèmes théoriques ont d'abord été
identifiés et de nombreuses expériences ont permis d'établir
les bases scientifiques du procédé.
Puis les expérimentations se sont développées sur
des Tokamak de plus en plus grands et performants, notamment en Europe
où est exploité le Joint European Torus (JET) qui, avec
ses 100 m3 de plasma, reste le plus grand Tokamak du monde. Il faut
noter que l'ensemble des programmes européens est coordonné,
depuis 1959, par une association EURATOME-CEA recouvrant toutes les
recherches menées en France.
Enfin, la période récente a débuté par deux
événements marquants. Les premières expériences,
en 1991, avec le mélange D–T ont été faites
sur le JET avec 2 MW (mégawatts) de puissance thermonucléaire
pendant deux secondes. Puis, en 1993, le Tokamak Fusion Test Reactor
(TFTR) américain fournit à son tour 6 MW. L'autre fait
marquant de la période a été le lancement officiel
du projet International Thermonuclear Experimental Reactor (ITER) en
juillet 1992. Les travaux de conception ont été effectués,
sur une période de dix ans, par une équipe internationale
de chercheurs qui a bénéficié du support de l'ensemble
des laboratoires nationaux des quatre participants au projet : l'Europe,
le Japon ainsi qu'à à moindre titre les USA et la Corée
du Sud
L'objectif du projet ITER est de maintenir à l'ignition un plasma
dégageant une puissance thermonucléaire d'un GW (gigawatt
= 1 000 mégawatts) pendant mille secondes. Pour atteindre cet
objectif, les recherches se poursuivent pour mieux cerner la physique
fondamentale et améliorer les dispositifs de confinement ainsi
que les moyens de contrôle et de mesure.
- TORE SUPRA
Le projet TORE-SUPRA, lancé dès 1978 alors que le TFTR
(USA), le JT 60 (Japon) et le JET (EUROPE) étaient en construction,
a été conçu pour étudier les plasmas en
régime quasi permanent. Entré en service opérationnel
en 1988 au Centre CEA de Cadarache, les résultats obtenus, dès
1992, ont trouvé leur optimum conforme à l'objectif final
en décembre 2003 et placent Tore-Supra comme le modèle
pour le développement du projet ITER.
Les particularités de Tore-Supra :
• Son aimant supraconducteur
permet un fonctionnement permanent du solénoïde torique
et de son cryostat en évitant les pertes thermiques avec une
consommation qui reste inférieure au mégawatt.
• Le maintien de la configuration
magnétique consistant à utiliser des
ondes électromagnétiques pour entretenir et accroître
le courant toroïdal initial, qui décroît quand la
température s'élève du fait de l'augmentation
de la résistivité du plasma. Les champs électromagnétiques
(électriques et magnétiques) des ondes utilisées
prennent la relève dans l'entretien et surtout l'accroissement
du courant toroïdal et remplace ainsi la force électromotrice
du transformateur.
• Le refroidissement des parois
du tore par une boucle d'eau pressurisée à 200 °C.
Le transfert de chaleur est assuré entre le plasma et le circuit
de refroidissement par des tuiles de graphite ou de composite de carbone.
• Le "divertor ergodique"
("ergodique" est synonyme de chaotique), a fonctionné
pendant 10 ans. Ce dispositif visant à éliminer les
impuretés indésirables résultant des interactions
plasma-paroi en perturbant la configuration du champ magnétique
à l'intérieur de la chambre toroïdale.
• L'alimentation du plasma
en particules, trois méthodes sont disponibles : l'injection
de gaz "classique" ou thermique (la plus couramment utilisée),
l'injection de gaz supersonique par impulsion (bouffée de gaz
rapide et concentrée) et enfin l'injection de glaçons
d'hydrogène (système le plus complexe) à une
vitesse de 4,3 km/s (kilomètres par seconde).
…et bien d'autres éléments de recherche permettant
d'accroître les performances du réacteur et de tester
les développements pour ITER.
Chambre de
Tore-Supra
Source CEA
Les résultats obtenus par Tore-Supra sont considérables
:
• dès 1992,
il a permis de battre un record mondial en maintenant en équilibre
quasi stationnaire, pendant plus d'une minute, un plasma traversé
par un courant d'un million d'ampères grâce à
des ondes électromagnétiques d'une puissance de 3 MW
(mégawatts) et d'une fréquence de 3,7 GHz (gigahertz),
• en 2002, le précédent record a été
dépassé avec des décharges d’une durée
de 4 minutes et demi et 750 Mj (Mégajoules) échangés,
• le 4 décembre 2003, l'équipe EURATOME/CEA a
obtenu des décharges plasma d'une durée de six minutes
à plus de trois fois la température du soleil. Cette
puissance était extraite, en continu, par le bouclier thermique
entourant le plasma et, ainsi, plus de 1 000 Mégajoules de
chaleur ont été échangés entre la source
de puissance, le plasma et le bouclier thermique.
Ces résultats illustrent également les progrès
importants réalisés dans le domaine des hautes technologies
telles que les aimants supraconducteurs refroidis à une température
proche du zéro absolu, les procédés d’extraction
de la chaleur (bouclier thermique) capables de résister, en continu,
à un flux de chaleur proche de celui de la surface du soleil
ou encore les méthodes de chauffage par ondes des plasmas confinés
nécessaires à la réalisation de décharges
de longue durée.
Ces recherches contribuent directement au programme ITER et font partie
du soutien scientifique et technique dont l’organisation internationale
pourrait profiter si le réacteur expérimental était
implanté à Cadarache.
- CONCLUSION
La collaboration internationale a permis de démontrer la faisabilité
des hypothèses théoriques sur la fusion thermonucléaire
contrôlée magnétiquement.
Mais il reste à accomplir de très importantes avancées
scientifiques et techniques pour atteindre la mise en exploitation industrielle
d'un premier réacteur et en démontrer l'intérêt
économique. Avant de le réaliser, les recherches tant
fondamentales que technologiques qui devront être développées
nécessiteront des moyens humains et financiers considérables.
Ceci ne peut se concevoir que dans le cadre d'une coopération
internationale de longue haleine. La fusion offre des avantages considérables
:
• utilisation d'un combustible inépuisable à l'échelle
humaine car provenant de l'air et de l'eau de notre planète,
• absence de déchets liés au combustible,
• faible radioactivité à vie courte des structures,
• grande sécurité intrinsèque due aux deux
caractéristiques précédentes,
• risques accidentels ou provoqués limités aux seuls
sites du réacteur, d'où sa grande facilité d'implantation
à proximité des lieux de consommation.
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