La première partie porte sur la nécessité d’un
encadrement juridique pour assurer ces activités «
sereinement », la deuxième partie portera sur la teneur
de ses principales dispositions internes et internationales.
Le droit n’a pas pour but de décider d’interdire
ou de permettre telle ou telle activité, de favoriser son
développement ou non, c’est le rôle du politique.
Le droit doit assurer, dans le respect de ses principes généraux,
une sécurité juridique de l’activité
concernée, autorisée par les pouvoirs publics.
La question de base est, en ce qui concerne les activités
nucléaires : les dispositions du droit « commun »
conviennent-elles ou faut-il prévoir des dispositions spécifiques
?
1. POURQUOI UN DROIT NUCLEAIRE ? 
1.1. L’énergie nucléaire,
une énergie « comme les autres »
Comme pratiquement toutes les activités industrielles, les
applications pacifiques de l’énergie nucléaire
apportent un « bénéfice » à la
société mais présentent des risques d’accidents.
La balance « coût » / bénéfice est
une des raisons qui justifient la mise en place de règles
juridiques encadrant les activités industrielles. L’aspect
bénéfice nécessite des règles juridiques,
même si cela n’apparaît pas évident : mesures fiscales, subventions, etc.…L’aspect risque nécessite,
de façon plus évidente, un encadrement juridique lié
à la capacité de maîtrise du risque (permettant son acceptation par la société), et aux conséquences
d’accidents (le risque zéro étant impossible).
1.2. L’énergie nucléaire
: une énergie particulière
L’existence d’un droit nucléaire sous-entend
que les règles existantes, dans les sociétés
industrielles ayant un système juridique (même sophistiqué)
encadrant leurs activités, ne conviennent pas toujours pour
les activités nucléaires.
La raison principale est que le risque nucléaire est spécifique.
Cette spécificité repose essentiellement sur la radioactivité ; une autre spécificité (moins nette aujourd’hui car elle n’est plus unique) est la gravité potentielle
et la très faible probabilité d’occurrence des
accidents. Une autre raison enfin est la complexité technologique
de l’activité.
Cette « nécessité » d’un droit
nucléaire ne signifie pas que l’ensemble des activités
nucléaires est régi par ce droit, les activités
nucléaires restant soumises pour une part essentielle au
droit commun ou à d’autres droits « spécifiques
», notamment le droit de l’environnement. Pour certains
la tendance serait à la limitation de ce droit d’exception.
D’une façon peut-être un peu excessive, le professeur
Yves Gaudemet affirme dans la préface de la dernière
édition du Recueil CEA de législation et de réglementation
des activités nucléaires : « hormis ces deux
domaines [la sûreté nucléaire et la radioprotection],
l’alignement du droit nucléaire sur le droit commun
est pratiquement absolu ».
Le droit nucléaire doit donc :
• fixer des règles d’autorisation
et de contrôle pour assurer la maîtrise des activités nucléaires en tenant compte de leurs particularités
;
• assurer une réparation en
cas de dommage nucléaire, adaptée à la nature
des dommages ;
• se conformer, bien sûr, aux
obligations internationales en la matière.
1.3. L’évolution du droit
nucléaire
Chaque Etat a mis en place des dispositions, législatives
ou/et réglementaires, pour encadrer les activités
nucléaires sur son territoire, mais ce qui caractérise
le droit nucléaire est : « [qu’] on peut affirmer
que ses aspects originaux proviennent essentiellement de recommandations
ou de règles adoptées sur le plan international »
(Droit nucléaire, Collection CEA Synthèses, rédigé
sous la direction de M. Pascal, Eyrolles Paris, 1979, p. 11). Il
serait donc vain de présenter le droit nucléaire uniquement
par une approche nationale.
En ne distinguant pas nécessairement le droit interne et
le droit international, on peut distinguer trois « générations
» de droit nucléaire :
• la première génération
est celle des « pionniers » et s’étend
de l’année 1945 jusqu’à la fin des années
soixante, avec d’abord la création des premiers organismes
publics nationaux : l’United States Atomic Energy Commission
(U.S.A.E.C.), l’United Kingdom Atomic Energy Authority (U.K.A.E.A.),
le Commissariat à l’énergie atomique (C.E.A.)
et plus tard avec la création des organisations internationales
spécifiques à cette activité : l’Agence
internationale de l’énergie atomique (A.I.E.A.), l’Agence
de l’O.C.D.E pour l’énergie nucléaire
(A.E.N.) et la Communauté européenne de l’énergie
atomique (C.E.E.A. ou Euratom). La mise en place de cette première
génération se fait dans un climat de confiance dans
cette nouvelle technologie, sans ignorer ses risques exceptionnels.
Il s’agit de construire ab initio un cadre juridique (et institutionnel).
Si ce droit a bien anticipé les risques en établissant des règles spécifiques de réparation (les premiers
textes datent de la fin des années cinquante), il a révélé
des faiblesses (spécialement en ce qui concerne la sûreté
) qui n’ont pas encore été complètement
corrigées au plan international.
• la deuxième génération
couvre la période des années soixante dix jusqu’à
1986, date de l’accident de Tchernobyl, qui a marqué
un tournant dans l’évolution du droit international
nucléaire. La période se caractérise, d’une
part par le véritable développement industriel des
applications pacifiques de l’énergie nucléaire
sous la pression des crises pétrolières en ce qui
concerne les programmes électronucléaires, d’autre
part par l’influence du mouvement écologiste. Des réglementations
nationales concernant la sûreté des installations,
l’impact sur l’environnement, la gestion des déchets
radioactifs (textes qui ont servi de modèle à l’encadrement
des autres activités à risques) ont alors été
mises en place. Le droit international reste encore pratiquement
limité au domaine de la responsabilité civile nucléaire.
• la troisième génération
est marquée par « l’explosion » (au sens
figuré !) du droit international nucléaire, qui n’avait
tout de même pas attendu l’accident de Tchernobyl pour
se développer.
2. LE CHAMP D’APPLICATION MATERIEL
DU DROIT NUCLEAIRE 
Toutes les activités mettant en jeu la radioactivité
(au dessus d’un certain seuil) sont bien sûr concernées
par le droit nucléaire. Mais pour fixer les idées
il apparaît utile de rappeler les principales activités qui normalement font l’objet de « réglementations
» spécifiques.
Nous mettrons à part la radioprotection, qui n’est
pas à proprement parler une activité, mais une discipline
pivot de l’activité nucléaire et un volet important
du droit nucléaire car d’une certaine façon
elle permet de fixer les seuils à partir desquels s’appliquent
les règles de sûreté nucléaire et les
règles de réparation des accidents nucléaires.
Parmi les installations nucléaires de base (terminologie
française), qui relèvent « par définition
» du droit nucléaire, il faut citer celles du cycle
du combustible :
• les mines et les installations
de concentration et de conversion ;
• les usines d’enrichissement
;
• les usines de fabrication du combustible
;
• les réacteurs ;
• les usines de retraitement ;
• les installations de gestion des
déchets radioactifs (traitement, entreposage, stockage) liées
au cycle du combustible et aux autres activités citées
ci-dessous. Mais il ne faut pas « oublier » :
• les réacteurs de recherche,
les laboratoires et autres installations de recherche (accélérateurs,
tokamak, ..) ;
• les sources radioactives utilisées
en médecine et dans l’industrie.
3. LA PLACE PREPONDERANTE DU DROIT INTERNATIONAL 
3.1. Un paradoxe apparent
Sous l’influence de l’origine étatique des activités
nucléaires à leur origine, celles-ci se sont placées
naturellement dans un contexte souverainiste. Cette tendance au «
chacun chez soi » est encore très forte dans les grands
pays nucléaires, notamment dans le domaine de la sûreté
nucléaire. De toutes façons le droit interne reste bien
sûr le cadre juridique dans chaque pays, avec la transposition
éventuelle des règles internationales en fonction de
la teneur des textes concernés et des dispositions constitutionnelles
de l’Etat. 3.2. La nécessité
du droit international, sa place dans le droit interne
Deux types d’éléments interviennent pour que le
droit international nucléaire prenne le « dessus »
: d’une part le caractère international « par nature
» du risque de contamination transfrontière et des mouvements
transfrontières de matières nucléaires ou de
déchets radioactifs, qui fait que seul le droit international
peut apporter une réponse ; d’autre part l’intérêt
d’une harmonisation des réglementations dans un contexte
« mondialisé ». Mais la rigidité de la mise
en place de règles juridiques internationales fait que ce droit
reste lacunaire, alors que le droit interne est obligé de mettre
en œuvre des règles pour toutes les situations qui le
justifient et qu’il peut le faire « facilement ».
Un autre élément général explique la
prépondérance du droit international (lorsque les
dispositions existent bien sûr) : c’est la primauté
du droit international sur les droits internes, reconnue pratiquement
universellement et inscrite d’ailleurs dans la Constitution
française. Lorsque des textes internationaux auxquels la
France a souscrit ou lorsque des principes généraux
ou coutumiers du droit international (plus rare en ce qui concerne
le nucléaire) existent, la France « n’a pas le
choix », elle doit appliquer ces dispositions et non celles
« équivalentes » éventuellement existantes
du droit national.
Une dernière remarque liée à l’existence
de l’Union européenne (dont la France fait partie)
; sans entrer dans la querelle de doctrine entre les juristes communautaristes
et les juristes internationalistes qui se battent pour savoir si
le droit communautaire fait partie ou non du droit international,
le droit communautaire, qui à notre avis est issu du droit
international et en applique les règles en apportant des
spécificités inscrites dans les traités constitutifs (notamment le traité Euratom), apporte une contribution redoutable
(et redoutée !) dans la pratique juridique française.
3.3. L’irruption « naturelle
» mais tardive (sauf en ce qui concerne la responsabilité)
du droit international nucléaire
La coopération internationale a démarré très
tôt (après la levée de la politique du secret
des Etats-Unis en 1953) entre les Etats dans le domaine nucléaire,
mais le droit international nucléaire a été
long à prendre sa place sous la pression souverainiste, déjà
évoquée, des principaux pays nucléaires.
La coopération internationale a porté au début
sur des échanges de connaissance pour assurer le développement
de cette technologie ; plus tard, notamment à la suite de
l’accident de Tchernobyl, la coopération a porté
sur la maîtrise de risques que l’on « découvrait » transfrontières.
L’émergence du droit international nucléaire
a été facilitée par l’existence de dispositions
communes à plusieurs pays. Mais aujourd’hui, tout naturellement,
le droit international est à l’origine de nouvelles
réglementations nationales.
Le droit international s’est en partie imposé par
les questions du public après l’accident de Tchernobyl
portant sur :
• n’existe-t-il pas d’obligations
internationales des gouvernements de communiquer immédiatement
aux pays voisins (ou même éloignés) les informations
relatives au risque de contamination radioactive à la suite
d’un accident survenu sur leur territoire ?
• n’y a-t-il pas des règles
internationales à appliquer d’urgence par les autorités
compétentes pour protéger la population contre les
dangers de la radioactivité ?
• n’y a-t-il pas d’obligation
internationale sur les normes minimales de sûreté ?
Les installations ne sont-elles pas soumises à des inspections
internationales ?
• y a-t-il des mécanismes internationaux
qui assurent la réparation des dommages causés à
d’autres pays que celui où l’accident nucléaire
s’est produit ?
Les réponses non entièrement satisfaisantes à
ces questions (sauf peut-être la dernière) ont été
le déclencheur (avec réticence) pour les Etats, sachant
que les organisations internationales travaillaient depuis longtemps
sur ces sujets, mais sans arriver à convaincre leurs Etats
membres d’établir des textes contraignants.
3.4. Les grands acteurs du droit international
nucléaire Avant de développer dans
la deuxième partie les grands domaines du droit nucléaire
en précisant les aspects nationaux et internationaux, il
convient de se pencher sur les grands acteurs du droit international
nucléaire.
Les sources du droit international reposent essentiellement sur
les travaux au sein des organisations internationales spécialisées
: l’A.I.E.A., organisation intergouvernementale à vocation
universelle, l’A.E.N., organisation intergouvernementale dans
le cadre de l’O.C.D.E., Euratom dans le cadre de l’Union
européenne, auxquelles il faut ajouter une organisation non
gouvernementale, la C.I.P.R. D’autres organisations internationales
jouent un rôle sans être spécialisées
dans le nucléaire : l’O.M.S., la F.A.O., l’O.M.I.,
et l’O.I.T.
• La Commission internationale de
protection radiologique (C.I.P.R.) a une double histoire : elle
a été créée en 1928 sous le nom de Comité
international de protection contre les rayons X et le radium et
rebaptisée C.I.P.R. en 1950.
• L’Agence internationale de
l’énergie atomique (A.I.E.A.) dont le statut est entré
en vigueur le 29 juin 1957. C’est une organisation intergouvernementale
classique à vocation mondiale. Elle comprend actuellement
137 pays.
Ses principales missions sont les suivantes :
— le contrôle de la non-prolifération
des armes atomiques (article III A. 5.),
— l’assistance technique, notamment
aux pays en voie de développement (article III A. 1.),
— l’adoption de standards dans
le domaine de la sûreté (article III A. 6.).
• L’Agence de l’O.C.D.E.
pour l’énergie nucléaire (A.E.N.) créée
le 20 décembre 1957 sous le nom d’Agence européenne
pour l’énergie nucléaire de l’Organisation
européenne de coopération économique et devenue
A.E.N. en 1972.
A l’origine, ses principales activités concernaient
la création d’entreprises communes pour la recherche
et le développement technique de l’énergie nucléaire
(ex. : Eurochemic), la radioprotection, la formation du droit nucléaire.
Elles s’étendent maintenant à l’ensemble
des aspects techniques et juridiques de la sûreté et
de la réglementation nucléaire. Sa caractéristique,
par rapport à l’A.I.E.A., est d’être constituée
d’un groupe homogène de pays développés
avec, parmi eux, les plus avancés dans la technologie nucléaire.
Elle comprend actuellement 28 pays.
• La Communauté européenne
de l’énergie atomique (Euratom), instituée par
le traité signé à Rome le 25 mars 1957, à
la même date que celui instituant la Communauté économique
européenne, et entré en vigueur le 1er janvier 1958
; son objectif était de « créer les conditions
de développement d’une puissante industrie nucléaire
» (Préambule). L’évolution de la politique
énergétique de la Communauté européenne
a réduit considérablement cet objectif aujourd’hui,
mais le rôle d’Euratom reste important, depuis l’origine
dans le domaine de la protection sanitaire de la population et des
travailleurs contre les dangers résultant des radiations
ionisantes [Titre I, article 2 b) et Titre II, chapitre 3, articles
30 et suivants du traité Euratom], et le devient aujourd’hui
dans le domaine de la sûreté nucléaire, suite
à un arrêt de la Cour de justice des communautés
européennes du 10 décembre 2002 qui, dans un conflit
Commission c. Conseil, a reconnu une compétence à
Euratom en la matière. L’Union européenne participe dans ses différentes composantes (car il n’y a pas
qu’Euratom qui est partie prenante) au développement
du droit international nucléaire.
3.5. La nature des sources du droit international
nucléaire
Elle est de deux sortes :
• des sources informelles non contraignantes
: recommandations des organisations internationales, publications
de la C.I.P.R, codes et guides de l’A.I.E.A., conclusions
de comités d’experts de l’A.E.N. ;
• des instruments classiques du droit
positif : accords bilatéraux, conventions internationales
établies sous les auspices des organisations internationales
concernées, décisions de l’A.E.N., règlements
ou directives communautaires.
Sur un plan formel, seuls les textes de droit positif (hard law)
font partie du droit nucléaire, mais les autres textes (soft
law) élaborés par les organisations internationales
citées précédemment et spécialement
la C.I.P.R., l’A.I.E.A et l’A.E.N. ont une place spéciale
et importante dans le cadre du droit nucléaire, d’une
part parce qu’ils sont le plus souvent des vecteurs d’harmonisation
des législations internes, d’autre part parce qu’ils
ont été établis très tôt et mis
à jour régulièrement et qu’ils servent
de cadre à l’établissement de certaines conventions
internationales.
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